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Qu’est-ce qu’un Fab Lab ? Do it yourself, hackers et autres open source

Une tribune de Clément Duhart, enseignant-chercheur à l’ESILV et chercheur invité au MIT Media Lab, spécialiste des objets connectés et de l’intelligence articifielle, parue dans The Conversation

Si vous parlez de fab lab à un nerd ou à un geek, vous verrez sûrement la lueur de l’innovation dans ses yeux. De prime abord, il s’agit d’un espace ouvert où se côtoient diverses machines, certaines incontournables tels que les scanners et imprimantes 3D mais aussi des machines à découpe laser, ou encore des ateliers d’électroniques. Ces espaces sont également déroutants lorsqu’on y aperçoit des ingénieurs et des designers manipuler des objets traditionnellement réservés à l’éveil des enfants (pâte à modeler,legos…). Mais attention, il serait réducteur d’y voir une évolution 2.0 des garages californiens des années 1970. Si l’esprit que l’on y trouve ne peut se dérober à cette lignée, il s’agit avant tout de nouveaux espaces pour l’industrie de demain.

Depuis peu, les fab lab poussent dans nos villes comme des champignons. Ils s’inscrivent dans une mutation plus large de nos sociétés, où la collaboration et la mise en commun fondent une nouvelle forme d’industrie. Si les potagers communautaires de nos villes permettent à nouveau de tisser des liens entre les habitants d’un même quartier, les fab lab réinventent un riche et dense tissu industriel, où les start-up remplacent la traditionnelle recherche et développement. Les usagers forment une population extrêmement diversifiée, depuis l’étudiant en ingénierie ou en design en passant par le créateur de start-up jusqu’à l’industriel aguerri. Mais en ce lieu, tous partagent un même espace, les mêmes outils, les mêmes matières premières… et leur savoir-faire.

De l’innovation naît l’éducation

Les fab lab sont nés à la fin des années 1990 au Media Lab de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), sous la tutelle du Professeur Neil Gershenfeld, du Center for Bits and Atoms. Il est alors question de révolutionner notre modèle industriel. Et la mouvance des fab lab s’appuie sur un corpus de doctrines où se marient éducation, économie circulaire et innovation. L’idée ? Permettre à chacun d’expérimenter pour apprendre, et de créer pour recycler. Différents courants technophilosophiques se sont cristallisés en ces lieux, mais la liste ne saurait en être exhaustive. Les trois suivantes ont cependant transcendé leur espace-temps.

Le do it yourself pousse chacun à concevoir son objet lui-même. Outre le fait d’inventer un objet unique, son créateur développe alors ses compétences pratiques et théoriques. Lors du processus de création, il est en effet amené à élaborer sa propre formation, en faisant lui-même sa veille technologique. Les workshops largement déployés dans les entreprises en sont une résultante, où les participants apportent de nouvelles idées en les développant.

Le courant hacker incite à démonter et à détourner l’usage d’anciens biens de consommation afin de leur donner une nouvelle vie. Ils inversent l’ordre établi du productivisme, en faisant du produit la source de la matière à retransformer. Un événement majeur et aujourd’hui incontournable de cette mouvance : le hackathon. Il s’agit de répondre à une problématique donnée dans un temps imparti et à partir de matières premières à recycler. Par exemple : « Comment fabriquer une porte des étoiles à partir d’un grille-pain usagé ? »

La communauté open source joue un rôle capital dans la dynamique des fab lab. Il s’agit d’une philosophie et d’un modèle économique où le savoir est gratuit et échangé librement, afin d’améliorer les produits. La plus-value économique ne réside donc plus dans le produit, mais dans le service associé. Elle apporte d’une part la matière première immatérielle tels que les logiciels, langages informatiques, et d’autre part des tutoriels pour partager le savoir-faire.
La démocratisation de ces espaces est le combustible de cette révolution en marche. Les communautés d’usagers de ces lieux en font des sphères d’apprentissage, de partage et d’innovation, où le challenge consiste en un jeu face à soi-même, face à sa capacité de créer, d’innover. Chaque usager devient à la fois ingénieur, designer et inventeur explorant l’innovation en y mêlant plusieurs disciplines… Il fait des fab lab le lieu privilégié de la pluridisciplinarité, non loin de la philosophie d’antidisciplinarité du Media Lab…

De la diversité naît une nouvelle économie

Ce nouvel espace de l’innovation par le partage et l’autoréalisation ouvre une nouvelle ère pour l’économie de demain. Il met à mal notre industrie actuelle, fondée en un bloc monolithique où chaque département est intégré dans une structure pyramidale pilotée par le management, et où les cycles linéaires de développement d’un produit se trouvent tous dans une économie de marché.

La mouvance autour des fab lab change drastiquement ce paradigme, par une structure industrielle plane, circulaire et décentralisée. En d’autres temps, la réalisation d’un produit nécessitait son incubation au sein d’une structure fournissant les services supports utiles à la réalisation. Désormais, Internet ouvre la porte au crowd concept, funding, sourcing, et autres dérivés de l’émergence participative.

Jerrys sous Emmabuntüs lors de l’anniversaire des deux ans du fab lab de Gennevilliers (France). Vallade/Wikimedia

Aujourd’hui une idée naît, se transforme en prototype au sein d’un fab lab, prototype qui permettra de promouvoir l’idée initiale à travers une brève vidéo explicative, vidéo qui servira de support à la communication, communication qui incitera des donateurs potentiels à financer le projet et donc à forger un premier marché de consommateurs. La production en série est alors sous-traitée et pilotée à distance, tandis que les relais de livraison sont désormais sur les plateformes de livraison à domicile. Mais il ne faut pas oublier que cet objet est né dans un fab lab. Et pour s’assurer l’attrait de la communauté, cet objet devra pouvoir être hacké à son tour afin de construire un nouveau produit.

Ainsi l’objet se verra augmenté par des interfaces de communication open-source et des tutoriels. Dans ce modèle, toutes les phases sont gérées par des entités commerciales et industrielles disjointes. Le financement et la promotion sont assurés par les consommateurs eux-mêmes et la communauté des fab lab, tandis que la communauté Open Source se voit nourrie par un nouveau produit muni de tutoriels. L’explosion des imprimantes 3D en est un parfait exemple. Un grand nombre de ces projets tels que FormLabs sont nés dans un fab lab, ont été financés par une plateforme de crowdfunding et sont désormais des outils incontournables dans les fab lab eux-mêmes.

De la consommation naît le recyclage

Cette mouvance s’inscrit également dans une économie durable où les objets, depuis la table en bois jusqu’aux dispositifs électroniques les plus sophistiqués, entrent dans des cycles de vie circulaires. Les objets sont soit réparés, recyclés ou hackés. C’est désormais possible grâce aux récents développements des approches modulaires tant en électronique qu’en informatique. Les célèbres kits Arduino permettent d’interchanger les composants électroniques et leurs codes logiciels associés, entre différents fabricants ou même entre différents objets. Si à l’origine cette technologie a été conçue pour prototyper rapidement, elle a pris depuis une dimension industrielle où les composants modulaires s’intègrent directement dans les produits finis tels que les mini-PC de type Raspberry Pi.

Sensor module kit.

L’emballage n’est pas en reste. Si certaines matières sont naturellement retransformables tels que le bois ou les métaux, le plastique lui aussi a désormais un cycle de vie circulaire. De nombreuses entreprises se spécialisent dans le recyclage plastique pour produire la matière première des imprimantes 3D. Il ne faudra plus attendre longtemps désormais pour voir apparaître des compacteurs où nos objets plastiques usagés seront broyés pour produire des bobines de plastique prêtes à imprimer.

La prolifération des fab lab dans chaque pays, villes et quartiers laisse entre-apercevoir un monde où les objets seront téléchargés et imprimés dans le fab lab du coin par nos soins, à partir d’anciens objets dont nous n’avons plus l’utilité. Ces mêmes plans d’impression et de conception seront eux-mêmes améliorés par chaque usager, qui pourra alors s’empresser de le partager avec la communauté et gagner en notoriété.

Finalement les questions d’éducation, d’économie, d’industrie et de déchets n’ont jamais été aussi proches, en un même lieu, avec les mêmes outils et la même matière première. Les fab lab ne demandent qu’à être adoptés par la nouvelle génération.

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