Une tribune de Pascal Brouaye, Directeur général du Pôle Léonard de Vinci, initialement publiée dans Grandes Ecoles et Universités Magazine spécial PDG. On attache souvent aux grands leaders la qualité première d’avoir une vision à moyen et long terme et donc de pouvoir indiquer la direction qui doit être prise. Cela est vrai au niveau d’un pays, d’une entreprise et de toute organisation se développant dans un monde en mutation. Dire d’un dirigeant qu’il est visionnaire est souvent considéré comme l’un des plus beaux compliments.
Or une vision du futur s’appuie toujours sur un travail de prospective. «La prospective a pour objet d’éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles », nous dit Michel Godet. Il faut en effet avoir exploré l’avenir pour identifier les chemins souhaitables et renforcer la confiance qu’il y a à les emprunter. La prospective, la démarche stratégique et la définition de plans d’actions sont intimement liés. Et la question se pose pour les institutions de formation et d’éducation : comment préparer les futurs leaders à ce travail de prospective ? Cela s’enseigne-t-il ? Comment entraîner et développer cette compétence ?
Le futur n’est pas dans l’air du temps
Dans le monde actuel, secoué par des crises de plus en plus fréquentes et face à des transitions profondes qui souvent effraient comme la transition écologique, il n’est pas si évident de penser sereinement l’avenir comme on le faisait par exemple dans les années 60-70 en imaginant un an 2000 plein de promesses avec des voitures volantes et des projets d’exploration des planètes du système solaire. L’instantanéité généralisée sanctifie le présent avec son lot d’informations permanentes et, pour les jeunes, l’ennui qui génère la rêverie qui elle-même développe l’imagination n’est plus d’actualité. On ne parle plus de progrès, mais plutôt d’innovations pour tout de suite. Ainsi, il semble que les étudiants d’aujourd’hui sont moins naturellement tournés vers l’avenir. Les entraîner à la prospective est donc un enjeu important.
Les sciences et les technologies représentent un « driver » très puissant
Lorsqu’il s’agit de penser le futur, il est essentiel de savoir identifier les tendances lourdes. Et bien souvent celles-ci sont liées au développement technologique. Combien de progrès et de transformations du monde ont été rendus possibles du fait de découvertes scientifiques et de développements technologiques ? A contrario, combien de dirigeants d’entreprise ont sous-estimé l’impact du développement de l’informatique – même avant la révolution Internet – sur l’économie, les organisations et les entreprises ? Que de virages ratés pour avoir pensé l’informatique comme un vulgaire outil de productivité alors qu’il s’agissait d’un vecteur de transformation profonde des organisations, des méthodes de travail et de l’ensemble des processus des entreprises. Il s’agit donc de développer chez les futurs leaders un certain niveau de compétences scientifiques et techniques et surtout la curiosité qui va avec. Bien sûr, il ne s’agit pas de leur demander d’être des scientifiques ou ingénieurs accomplis, mais d’être familiers avec les sciences et les techniques et par conséquent de s’y intéresser. Cette culture doit, à mon sens, être davantage développée dans les écoles de management et dans les formations aux sciences sociales.
Mais il faut les penser avec une vision holistique
Mais c’est en croisant les sciences dures et les technologies avec les sciences humaines et sociales que l’on peut vraiment effectuer un travail de la prospective. La démographie, la géographie, la politique et même les religions représentent des dimensions souvent significatives quand il s’agit d’imaginer le futur. Cela
invite à ce que les futurs leaders acquièrent des connaissances et des compétences étendues, pluridisciplinaires. On parle de plus en plus d‘hybridation des compétences tant il est vrai que c’est souvent à la frontière des disciplines ou dans des approches pluridisciplinaires que se développent les scénarios les plus féconds. Et là également les scientifiques et ingénieurs doivent déployer un esprit d’ouverture à ces sciences dites molles qui permettent d’appréhender la dimension humaine qui pèse lourd dans l’évolution des sociétés et des organisations mais aussi dans l’acceptation ou non des technologies. Sur ce dernier point, il est vrai qu’avec les techniques en plein essor, dites du Big Data, on dispose de plus en plus de moyens de traiter des
masses importantes d’informations qui renseignent sur le comportement des individus.
Le potentiel et les limites du Big Data
Le management d’énormes quantités de données, rendu possible par la numérisation et le développement de la puissance de calcul fait du « Big Data » un outil de prédiction de plus en plus utilisé dans tous les domaines : médecine, finance, assurance, tourisme, marketing, etc… Les futurs leaders doivent évidemment être très familiers avec le potentiel du Big Data qui ne cesse de se renforcer par le développement des techniques d’intelligence artificielle comme le « deep learning ». Néanmoins, il s’agit aussi d’avoir conscience des limites de ce type d’approche qui, si elles permettent de développer des approches prédictives, ne fournissent pas de modèle pour expliquer ces prédictions. Comme le disait le grand mathématicien René Thom, « Prédire n’est pas expliquer ».
Former à la prospective, un beau terrain pour l’innovation pédagogique
Il résulte de ce qui a été dit plus haut que le travail de prospective doit aussi être un travail d’équipe. Former à la prospective offre par conséquent un beau terrain d’innovations pédagogiques qui devraient être mises en œuvre par des « consortium » de filières d’enseignement afin de rassembler autour d’études de cas par exemple, des équipes d’étudiants de disciplines variées et dotées d’outils technologiques ainsi que de data afin de travailler en vraie grandeur. Tout cela pouvant naturellement s’effectuer à distance et donc donner lieu à la création de MOOC ou autres SPOC afin de faire travailler des équipes pluridisciplinaires. Un beau challenge à relever pour décloisonner les filières d’enseignement.
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