Une synthèse de
, Enseignant Systèmes Embarqués, Docteur en Informatique, ESILV Paris.Depuis le début de l’informatique, le développement technologique n’a cessé de rechercher de nouvelles modalités d’interaction entre l’homme et la machine. Et cela change profondément notre perception du monde. Lorsque l’écran a été inventé, le monde en temps réel nous est apparu. Lorsque le clavier est né, le monde est devenu à notre portée.
Désormais le smartphone nous l’offre à portée de doigt. Ces changements de perception cachent une augmentation des capacités humaines sans précédent où chacun de nos sens, de nos parties du corps, se voient octroyer de nouvelles fonctions, connectées à un monde virtuel toujours plus vivant.
Le docteur Katia Vega, chercheuse associée au MIT Medialab, a récemment présenté son concept de « beauty technology » au groupe Léonard de Vinci. Elle parle d’une nouvelle étape dans l’évolution de notre interface avec la machine.
Jusqu’à présent, nous étions acteur de l’interaction à travers nos mains, nos doigts. Désormais grâce aux cosmétiques de demain nous serons nous même bientôt connectés. Ses travaux de « skin interface » lui ont permis d’être consacrée récemment par le MIT Press parmi les 30 inventeurs de moins de 35 ans les plus créatifs de la planète.
On y découvre l’informatique invisible, où des terminaux de paiement se cachent sur ou sous nos ongles, où des tatouages à encre conductrice permettent d’interconnecter différents systèmes sur notre peau tels que du maquillage à coloration programmable, des détecteurs de battement de cils ou de pincement de lèvre, ou bien encore des cheveux connectés.
Une informatique invisible
Les récents développements de la technologie wearable tendent à rendre l’informatique invisible tout en fournissant toujours plus de services à la personne. Des terminaux dissimulés dans nos chaussures évaluent notre podométrie ; des vêtements intelligents nous conseillent sur notre apparence ou encore une montre connectée nous rapproche de l’information. Mais ces différents objets connectés et intelligents demeurent des artefacts que nous utilisons.
Les cosmétiques connectés pourraient avoir une autre portée puisqu’ils font inconsciemment partie de notre corps. Cela est renforcé lorsque Katia travaille avec des implants sous-cutanés. Notre connexion avec le monde digital devient invisible et nous transforme en superhéros de comics.
Voici quelques exemples :
- Kinisi est une application de maquillage d’effets spéciaux qui transforme la peau en une véritable interface digitale. Chaque mouvement du visage, un clignement d’œil, un sourire ou un haussement de sourcil va déclencher différentes séquences lumineuses. Larca Meicap, spécialiste de maquillage FX a travaillé avec les capteurs de beauté connectée pour appliquer le maquillage sur des muscles spécifiques. Des éclairages LED sont également appliqués sur la peau et dans les cheveux. Des signaux digitaux sont ainsi captés et envoyés à un microcontrôleur qui active les séquences lumineuses.
- Blinklifier permet le déclenchement de séquences lumineuses et auditives en fonction des différents clignements de l’œil. Grâce à de faux sourcils, à de l’eye-liner contenant une encre conductive et en utilisant un microcontrôleur Arduino, les mouvements de paupières permettent aux LED de s’illuminer en respectant un certain rythme.
- Les Beauty Tech Nails sont de faux-ongles en acrylique ou en plastique dans lesquels sont incrustés de petits aimants, de tags RFID, ou sur lesquels sont appliqués du vernis conductif qui permettent d’interagir avec d’autres wearables et objets connectés.
- Le projet Hairware, ce sont des faux cheveux, traités chimiquement pour obtenir une conductivité électrique, qui réagissent au toucher. Chaque mouvement et toucher déclenche une action différente comme envoyer un message, enregistrer une conversation ou prendre un selfie.
Si ces technologies peuvent paraître illusoires pour certains, elles relèvent de la magie et de l’espoir pour d’autres. En effet, si la technologie de Katia peut nous donner des superpouvoirs tels que piloter un drone à distance avec sa main, elle peut également rendre de l’autonomie face à certains handicaps. Elle a travaillé avec différents hôpitaux afin d’aider des personnes tétraplégiques à contrôler leur environnement grâce à la quarantaine de muscles du visage. Des capteurs sur la peau détectent l’expression du visage afin de contrôler la télévision, de déclencher un appel téléphonique ou encore de contrôler la hauteur de leur fauteuil.
Entre wearable et cyborg
Notre école d’ingénieurs l’ESILV travaille en ce sens à travers sa majeure Informatique, big data et objets connectés (IBO). Nos étudiants y découvrent à la fois les technologies et le savoir-faire du monde connecté mais également les enjeux cachés autour de la vie privée, la sécurité et le traitement massif de ces nouvelles données. Leurs projets sont toujours plus tournés vers la rupture des modes de pensées à travers l’émergence de ce type de technologie que nous leur proposons de découvrir.
De l’espoir pour certains, à la crainte pour les autres, la technologie du « Skin Interface » est sans doute une étape intermédiaire entre le monde du « Wearable » et celui du « Cyborg ». Le potentiel des applications est immense d’un point de vue médical, mais ouvre également la fenêtre sur une nouvelle ère où la technologie nous sera invisible et bel et bien ubiquitaire.
Serons-nous capables de contrôler autant d’interactions, de gérer nos nouveaux superpouvoirs ?
En nous connectant au monde digital, nous sommes déjà de moins en moins présents dans notre monde bien réel. Comment évoluerons-nous avec des corps connectés où les notifications seront remplacées par de nouvelles sensations artificielles ? Qui sait, peut-être que l’intelligence artificielle sera bientôt une carte que nous pourrons jouer.
Article publié initialement sur The Conversation