Enfouir un message sonore encodé dans l’ADN d’une oreille en collagène au milieu d’un glacier, c’est l’ambitieux artistique réalisé par un artiste espagnol Soliman Lopez grâce au soutien de l’Institute for Future Technologie du Pôle Léonard de Vinci.
Il fait plus de 40 degrés quand Soliman Lopez installé à Valence apparait en débardeur sur l’écran du PC via Teams pour cette interview. Il faisait -400C un mois auparavant en Arctique où l’artiste a enfoui dans un glacier son œuvre d’art high tech : une oreille en collagène porteuse d’un manifeste. Un saisissant contraste symbolique du dérèglement climatique actuel à l’origine du projet.
Une œuvre d’art technologique engagée
Artiste conceptuel engagé et directeur du laboratoire de recherche de l’ESAT (Ecole Supérieure d’Art et de Technologie) de Valence, Soliman Lopez a souhaité rejoindre les lanceurs d’alertes comme Claude Lorius, un des premiers scientifiques ayant prouvé scientifiquement l’impact des gaz à effet de serre et des activités humaines sur le climat, à l’origine du GIEC.
Comment ? En créant le Manifesto Terricola : un manifeste pour la Terre et ses habitants, les générations présentes et futures « à une époque où l’on ne semble plus écouter les scientifiques, où nous ne voulons pas regarder la réalité en face » précise l’artiste.
Il s’agit d’un texte simple, enregistré en anglais et stocké dans une molécule d’ADN transcrivant un code génétique à partir d’un fichier numérique. Cette molécule a été encapsulée dans une oreille 3D biodégradable en collagène de 8 cm.
L’objectif de l’artiste est d’éveiller les consciences : si les hommes continuent sur cette lancée, l’oreille reviendra à la surface de la terre avec la fonte de ce glacier et le message comme l’humanité seront perdus à jamais.
C’est une sorte de flèche directe sur la structure de l’art contemporain traditionnel pour activer une nouvelle responsabilité sociétale qui est écrit dans le manifeste et changer l’avenir de l’humanité » explique Soliman Lopez.
Ses intentions résident « dans une analyse intrinsèque de la matérialité, de l’immatériel, de l’anthropocène, de la science, du stockage numérique et de l’art lui-même, rendant formellement hommage à ces artistes « Terricola (terriens) » de Van Gogh à Stelarc en passant par Joe Davis et introduisant une nouvelle Oreille dans l’Histoire de l’Art .
À la fois œuvre d’art, texte d’intentions et outil scientifique, le Manifesto Terricola ouvre aussi la possibilité d’avoir des disques durs massifs d’informations numériques stockées dans l’ADN dans les écosystèmes des glaciers avec zéro impact environnemental.
Un manifeste enfoui au cœur d’un glacier à la portée universelle
Le message contenu à l’intérieur de cette oreille a été révélé au moment de son enfouissement, le 23 avril dernier, dans le permafrost d’un glacier situé au Svalbard, une île de l’Arctique située au nord de la Norvège.
Il a fallu 12 jours pour trouver le lieu au milieu des glaciers en mouvement, une sorte de grotte dans lequel l’artiste est descendu pour révéler le contenu du manifeste et le lire à voix haute.
Cette sorte de cathédrale a ajouté une dimension spirituelle au projet en connexion avec l’intérieur de la nature. Puis l’oreille a été enfouie dans un trou encore plus profond pour résonner à la fois dans l’intellect humain mais aussi dans la terre mère.
L’artiste a voulu ainsi également rendre hommage à sa mère et aux femmes qui donnent la vie, en se mettant au diapason du monde.
Ce manifeste artistique présente un état de la situation actuelle de l’humanité dans différents domaines tels que l’économie, l’éthique et la morale, la psychologie, la géopolitique, l’environnement et l’art. Rédigé en langue anglaise, le manifeste est articulé autour de 4 blocs d’informations et 17 petits modules, comme une sorte de décalogue d’intentions :
- « TRANS : Nous sommes dans une période de transition entre la séparation biologique des besoins humains en tant qu’espèce et l’altération biotechnologique des corps »
- « LA FOI : La science, grâce à sa grande alliée, la technologie, sort victorieuse devant la foi ».
- « ECO : Un artiste ne croit pas aux économies créées à des fins égoïstes »
- « HUMAINS : Nous n’habitons plus la terre promise, mais nous nous promettons une terre meilleure »
L’artiste fait aussi référence aux fréquences hertziennes auxquelles vibre notre cerveau, jusqu’alors en phase avec celles de la terre et de la nature :
Nos ondes cérébrales étaient en phase avec la vibration de la terre à 7,83 Hz mais ce n’est plus le cas depuis 20 ans. Et c’est en partie lié aux ondes électromagnétiques, à la technologie. Il est important de nous resynchroniser. La technologie par le biais de l’art peut nous faire passer à un autre niveau de conscience.
Un projet international soutenu par le Pôle Léonard de Vinci
Soliman Lopez a été accompagné dans le cadre d’un appel à projet sur le plan « humain, technologique et financier » par l’Institute for Future Technologie (IFT) du Pôle Léonard de Vinci.
La rencontre avec le Directeur de l’IFT, Clément Duhart et le chercheur Vivien Roussel, expert en biomatérialité, a été décisive pour lancer la matérialisation du manifeste artistique, à la base un message sonore, pour le transcrire et le traduire en molécules d’ADN. L’oreille en collagène a été créée en 3D et fabriquée au sein du Fablab du Pôle Léonard de Vinci. L’IFT a également organisé et financé l’expédition en Arctique, dans le cadre d’une résidence art-science.
Ce projet a été également été soutenu par l’Université de Washington aux Etats-Unis, l’ESAT de Valence avec le concours de l’informaticien Javier Forment qui a transcrit le code binaire du texte numérique en code quaternaire génétique.
L’enfouissement du manifeste contenu dans cette oreille n’est pas une fin. C’est plutôt une naissance.
Je laisse le produit de ma recherche conceptuelle comme un mandala créé pour disparaître dans une conscience plus grande. Il s’agit d’une sorte de fécondation d’une idée au sein d’un écosystème donnant naissance à un mouvement engagé autour de ce projet et la création d’une communauté. J’invite la société des connaissances à construire avec moi ce que j’appelle « l’intellectosphère » pour susciter un effet papillon et éviter le pire .
Plus de 30 000 personnes ont déjà rejoint cette communauté. Des premières expositions ont été organisées à Istanbul, en Turquie et au Venezuela, ainsi que des conférences. Un documentaire va être réalisé.
L’objectif est d’utiliser ce projet comme une sorte de cheval de Troyes pour rentrer dans la structure de l’art contemporain, de l’écologie, de l’économie. » Il espère que d’autres artistes engagés rejoindront le mouvement pour créer un écosystème vertueux.
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