D’une importance cruciale pour plusieurs secteurs d’activité comme l’industrie ou la médecine, l’impression 3D est aujourd’hui partout. La fabrication additive est également un vaste terrain d’expérimentation pour le De Vinci Innovation Center, le pôle d’innovation trandisciplinaire du Pôle Léonard de Vinci.
Dans une tribune publiée dans The Conversation, Clément Duhart, responsable du De Vinci Innovation Center – DVIC, livre son regard sur les derniers défis et évolutions de l’impression 3D.
L’impression 3D, au-delà du plastique
Aujourd’hui, vous pouvez télécharger des plans pour fabriquer le porte-téléphone de votre vélo avec une imprimante 3D – dans le fab lab de votre ville ou, si vous êtes passionné, chez vous. Dans les premiers mois de la crise du Covid-19, les imprimantes 3D ont été mises à contribution pour fabriquer des visières nécessaires aux soignants et pour prototyper des respirateurs.
La fabrication additive ou « impression 3D » est désormais bien établie dans le paysage industriel. Cette technique, apparue dans les années 2000, consiste à ajouter de la matière et s’oppose à l’usinage industriel, qui procède par moulage pour les plastiques et qui retranche de la matière dans le cas du métal ou du bois.
Les premiers usages ont été le prototypage rapide à base de plastique fondu déposé couche après couche pour constituer un objet en volume. Aujourd’hui, les révolutions de la fabrication additive ne résident plus seulement dans sa facilité et la rapidité du prototypage, mais plutôt dans l’utilisation de nouveaux matériaux.
Les fab labs sont considérés depuis longtemps comme de nouveaux lieux de démocratie où s’approprier les technologies et la fabrication d’objets adaptés à leur utilisateur. De plus, le monde de la logistique permet aujourd’hui aux particuliers de commander des matières premières variées, et d’expérimenter de nouveaux matériaux à imprimer, s’éloignant du « simple » prototypage plastique pour fabriquer des objets les plus sophistiqués avec des matériaux de plus en plus innovants.
Les matériaux intelligents
Au De Vinci Innovation Center, nous explorons deux grands axes autour de la fabrication additive inspirée du vivant : les matériaux intelligents et les matériaux organiques.
La pensée ingénieure a tendance à séparer un système en sous-ensembles, d’un côté l’électronique et d’un autre le corps mécanique. Cette répartition des tâches est présente à toutes les étapes de conception d’un produit du design jusqu’à l’industrialisation.
Ceci contraste avec l’approche de la nature, très « intégrée » dirait-on dans un jargon d’ingénieur, puisque ses systèmes décisionnels, ses capteurs sensoriels et ses actionneurs musculaires font partie d’un tout. Ce type de conception offre de nombreux avantages en termes de robustesse, d’esthétisme ou encore d’intégration.
Le champ d’exploration des matériaux intelligents consiste à créer des matières dans lesquelles l’ensemble des éléments sont directement intégrés. Grâce à la fabrication additive, un objet peut être conçu avec différents matériaux aux propriétés mécaniques variées, tout en intégrant en leur sein des circuits électroniques faits d’encre conductive par exemple.
Il est également possible d’envisager de nouveaux types d’énergie pour la motorisation tels que la pression pneumatique ou hydraulique en dessinant des structures de canaux plus ou moins complexes à l’intérieur de la matière lors de l’impression.
Par exemple, nous avons expérimenté la conception de muscles pneumatiques que nous pouvons combiner avec de l’encre conductive pour dessiner des capteurs d’étirement inspirés de travaux en soft robotics. Il devient alors impossible de dissocier l’actuateur du capteur, qui sont devenus une seule matière.
Par exemple, nous avons créé une peau synthétique multicouche intégrant le derme, l’épiderme, des veines et une texture capable de sentir le toucher. Pour poursuivre ces travaux, nous avons mis en place une chaire de recherche avec la start-up Lynxter pour explorer l’ensemble des opportunités des matériaux dits « intelligents » sur la fabrication additive. L’espoir est de voir peut-être un jour naître une imprimante 3D biologique, capable d’imprimer des organes ou structures vivantes autonomes tel que fantasmé dans le film « Le Cinquième élément ».
Imprimer des matériaux issus du monde du vivant
Ces dernières décennies, l’évolution industrielle et économique a été influencée par la matière bon marché et poussée vers l’énergie accessible principalement extraite du pétrole. Leur abondance nous a empêchés de penser la matière autrement que par la sidérurgie et le plastique.
Nous commençons maintenant à repenser notre rapport aux objets manufacturés et aux outils technologiques, notamment à travers les mouvements dits « low tech ». La conception de nouveaux produits est influencée par de nouveaux matériaux et mécanismes empruntés au monde vivant et inspirés par la biodiversité de notre planète.
Par exemple, la soie à haute densité est un matériau très résistant et flexible, à faible coût de production et potentiellement local, et est biodégradable par exposition aux ultra-violets. On pourrait ainsi envisager de fabriquer un dossier de chaise personnalisé à notre dos par fabrication additive en soie et à faible impact écologique en termes de production de matière première et d’énergie grise, en lieu et place d’une chaise fortement carbonée en plastique.
Une partie du groupe « Resilient Futures » dirigé par Marc Teyssier s’intéresse à la culture de cellules vivantes pour la production et le conditionnement de matière organique pour la fabrication additive, en collaboration avec la start-up française MASP. Un des objectifs à court terme est de conditionner à grande échelle de la soie, mais d’autres matières organiques sont également à l’étude. Le marc de café, une fois traité, peut être imprimé et stabilisé pour créer des couches semblables à du cuir animal – une activité inspirée du fab lab de Barcelone. Dans le cadre de la confection alimentaire, nous explorons comment la cuisine moléculaire et la fusion permettent d’imprimer des aliments en trois dimensions.
L’impression 3D guidera-t-elle la révolution écologique dans l’industrie et la logistique ?
La fabrication additive plastique et résine a souvent été associée à une technologie à forte empreinte carbone en raison de la matière première employée. De nombreux projets et entreprises tentent de recycler cette matière première en nouveau filament d’impression, mais pour l’heure ces tentatives restent limitées. D’une part, la qualité de la matière recyclée n’est pas toujours satisfaisante pour des produits finis et d’autre part les processus de retraitement ont eux-mêmes un impact sur la planète même si des activités de recherche tendent à améliorer ce statu quo.
Aujourd’hui, les déchets issus de la fabrication additive plastique ou résine peuvent suivre la chaîne traditionnelle de valorisation et être employés dans d’autres secteurs industriels moins exigeants en termes de propriétés chimiques et mécaniques, par exemple pour des matériaux de construction.
Enfin, la culture de matériaux issus du vivant nous permet de penser au-delà du tout pétrole, et de tenter de voir les nouvelles technologies comme une opportunité de changement. Si la fabrication additive est déjà un formidable outil de prototypage, elle devient maintenant un outil de fabrication tous matériaux – potentiellement plus « verts », et de fabrication personnalisée – donc adaptée aux usages, voire réduisant le transport de marchandises, comme l’a souligné Neil Gershenfeld, l’inventeur des fab labs. Les produits finis n’auraient alors plus besoin de parcourir plusieurs fois le tour de la terre en cumulant les distances parcourues par les différentes pièces qui le composent.
Le développement d’espace de fabrication digital dans nos quartiers nous permettrait d’acheter les plans de fabrication de certains objets sur Internet et de les fabriquer localement.