Apprendre de Léonard – Partie 6. Laurence Carrasus, Directrice de la Recherche à l’ESILV, revient sur les relations entre l’oeuvre de Léonard de Vinci et les mathématiques.
Quel meilleur nom peut-on rêver pour une école d’ingénieur que Léonard de Vinci ? Ingénieur imprimant dans l’imaginaire collectif ses machines extraordinaires, De Vinci a marqué son temps et bien au-delà. Même si Léonard ne les a pour la plupart pas inventées, il a su s’inspirer de machines déjà existantes et grandement les améliorer, s’inscrivant ainsi dans le cycle itératif de la création scientifique.
Qui a visité le Clos Lucé ne peut en sortir qu’étonné et subjugué : comment tant de talents différents ont-ils pu être attribués à un même homme ? Au–delà de ses tableaux, de ses créations architecturales et de ses machines, on est émerveillé par les citations du maître décorant les mûrs du Clos Lucé. Léonard avait le sens de la formule. Mais avait-il celui de la formule mathématique ?
Léonard de Vinci n’a pas été aussi remarquable dans le domaine des mathématiques qu’il l’a été dans d’autres, alors même qu’il était fasciné par cette science puisqu’il disait : « Celui qui n’est pas mathématicien, qu’il ne me lise pas quand j’expose mes principes » ou encore « Aucune investigation humaine ne peut–être appelée science véritable si elle ne passe pas par les démonstrations mathématiques. »
De Vinci a peu contribué aux mathématiques en dehors de la géométrie. Il illustre « De Divina Proportione » du moine mathématicien Luca Pacioli rencontré à Milan. Ce livre est consacré au nombre d’Or et Léonard y représente une soixantaine de polyèdres. Léonard de Vinci considérait les mathématiques comme un outil au service de l’art ou de la science. Il sera inspiré par Piero della Fransceca, mathématicien et géomètre contemporain ayant étudié la perspective, la géométrie, les polyèdres et pouvant être considéré comme le père du dessin technique. Ainsi, la perspective sera en peinture un des signes caractéristiques de Léonard et l’art de la proportion, et par suite le nombre d’or, marquera ses créations architecturales. Au-delà des applications de la géométrie à ses domaines de prédilection, De Vinci a proposé une belle démonstration du théorème de Pythagore et également fait usage de son génie d’ingénieur en créant de nouveaux types de compas.
Autoproclamé « Homme universel » à 30 ans, que penserait-il de celui du 21e siècle et de toutes les inventions qui l’entourent ? Il serait émerveillé par nos machines volantes, mais aussi certainement déçu par cet homme omniscient du 21e siècle qui a oublié que « dans la nature, tout a toujours raison. » Et que penserait-il des mathématiques dans notre société ? Les domaines scientifiques se sont développés, complexifiés et spécialisés à l’extrême. La société s’est segmentée. Les mathématiques ne sont plus un art étudié par les hommes et les femmes cultivés, mais un outil de sélection de cerveaux bien faits. Et les scientifiques dans cette société ? Même s’ils comptent parmi eux des maires ou des députés, ils ne sont plus au cœur de la société civile comme à l’époque des lumières ou même avant la seconde guerre mondiale avec Paul Painlevé, mathématicien et ministre de la guerre ou John Von Neumann, mathématicien et directeur du comité américain pour l’énergie atomique. Mais pourtant, comme indiqué dans une étude du cabinet de conseil CMI parue en 2015, les mathématiques sont bien au cœur de l’économie : elles contribuent à hauteur de 15% au PIB français et ont un impact sur 2,4 millions d’emplois en France. Au-delà de la place des mathématiques dans la société, il y a celle qu’elle occupe dans le cœur des mathématiciens et des mathématiciennes. Les mathématiques restent fidèles aux éloges de De Vinci et plus tard de Lautréamont, un art exigeant, certes un peu élitiste, mais au combien admirable.
À l’adresse de mes élèves ingénieurs, je ne peux conclure que par ces deux très belles citations de Léonard de Vinci :
« Ô vous qui étudiez, étudiez les mathématiques, et ne construisez pas sans fondements » et « La rigueur vient toujours à bout de l’obstacle. »
Laurence Carassus
Professeur des universités en mathématiques appliquées
Directrice de la recherche pour l’ESILV.
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