Apprendre de Léonard – Partie 5. A l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, les écoles du Pôle Léonard de Vinci reviennent sur les traces du génie pluridisciplinaire dont l’influence est encore ressentie aujourd’hui. Rémy Sart, responsable du cycle préparatoire de l’ESILV et docteur en mathématiques, décrypte pour nous la signification et les origines du nombre d’or ou la divine proportion, ainsi que ses principales applications dans les arts et les mathématiques.
Connu initialement sous le nom de Phi, représentée par la lettre grecque Φ, le nombre d’or est avant tout un repère historique dans l’algèbre et la géométrie. Comment la mystérieuse racine de 2 a-t-elle transformé les notions de beau et équilibre dans la sculpture, l’architecture, la musique, la philosophie et a éveillé le goût des approches mystiques et symboliques à ceux qui s’intéressent à l’harmonie universelle ? Décryptage.
Le nombre d’or, divine proportion
Classe de première scientifique, séance de travaux dirigés, thème : résolution des équations polynômiales du second degré. Un élève ingénieur est forcément passé par là, peut-être même en examen, il a rencontré l’équation x² – x – 1 = 0 et a appris à exprimer sa solution positive :
Pour un lycéen, ce nombre d’or, qui a une expression algébrique « commune », passe presque inaperçu mais il a suscité bien des réflexions au fil des siècles.
De l’Antiquité à la Renaissance
Difficile de dater les références les plus anciennes dans les écrits ou dans les esprits, mais ce nombre mystique a retenu l’attention de beaucoup de scientifiques. Notamment Léonardo Fibonacci, au 12ème siècle, dont la célèbre suite permettra d’approcher ce fameux nombre, mais bien avant, Euclide avait déjà étudié toutes ses propriétés au 3ème siècle avant J.-C. et, même si les Pythagoriciens s’en servaient probablement pour construire des pentagones réguliers à l’aide de triangles isocèles, il est le premier à laisser un écrit sur le sujet. Certains scientifiques imaginent même une représentation du nombre d’or bien antérieure, la pyramide de Kheops serait construite dans des proportions bien particulières…
Le nombre d’or refait surface à La Renaissance, Luca Pacioli, mathématicien, publie De Divina Proportione en 1509, trois manuscrits de mathématiques illustrés par Léonard de Vinci, portés sur la question des proportions géométriques et leurs influences en architecture et dans l’art en général. Occasion pour Léonard de Vinci de mettre en lumière ce que Johannes Kepler appelait le « joyau de la géométrie », le nombre d’or serait vu comme le coefficient de proportion parfaite, symbole de l’harmonie suprême de toute chose.
Art et Mathématiques : deux façons de représenter le monde
Léonard de Vinci est remarquable par sa multidisciplinarité, le mélange des sciences, sa façon de confronter les points de vue et de « reculer » pour mieux observer. Toutes les sciences ont influencé ses œuvres, ses idées, ses créations. Comme la géométrie bien sûr. Le monde des objets mathématiques, créations du cerveau humain pour expliquer le réel, pour démontrer des vérités, a manifestement une intersection non vide avec la peinture, qui elle aussi retranscrit aussi bien le monde réel que l’imaginaire.
Dans son illustration de l’Homme de Vitruve (1490), Léonard de Vinci reprend les idées de Marcus Vitruvius Pollio, architecte ingénieur romain, sur les proportions idéales du corps humain et y mêle la géométrie en dessinant un Homme s’inscrivant parfaitement dans un cercle et un carré, des formes géométriques parfaites.
Léonard de Vinci était fasciné par le corps humain et les mécanismes physiques qu’il contient mais aussi bien dans l’esprit de Vitruve que dans celui de Léonard De Vinci, cette représentation de l’homme est purement artistique, pas du tout scientifique.
En reprenant ce dessin à son compte, Léonard de Vinci a souligné l’influence évidente de la géométrie dans la création artistique. Et en peinture notamment, la perspective, les proportions, l’harmonie des longueurs est essentielle ; la section dorée se retrouve dans les œuvres de Léonard de Vinci et l’abondance de tableaux où l’on retrouve des rectangles d’or ne peut pas être un hasard.
Le rectangle d’or
Contrairement à Pi qui est un nombre transcendant (solution d’aucune équation polynômiale), le nombre d’or fait partie des nombres constructibles. Avec une règle et un compas, 3 étapes suffisent à matérialiser le nombre d’or.
Un rectangle d’or est un rectangle dont le rapport entre sa longueur et sa largeur est égal au nombre d’or, et qui se veut être la forme de rectangle la plus harmonieuse.
La spirale d’or (ci-contre) tracée sur le pavage d’un rectangle d’or en sous-rectangles d’or emboîtés est utilisée par certains peintres pour répartir de façon harmonieuse les différents éléments de leurs œuvres.
On peut effectivement croire que Léonard de Vinci, esthète, obsédé de la perfection puisse avoir pensé ses œuvres sous l’influence du nombre d’or. De manière volontaire ou intuitive. Certains penseront que les mathématiques influencent notre vision esthétique, d’autres que nous avons tous une préférence naturelle pour cette proportion divine.
« Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail » (Léonard de Vinci)
Ce symbole d’harmonie et de beauté a inspiré beaucoup d’artistes. Certains ont même forcé le trait. L’architecte Le Corbusier, en définissant son Modulor, a basé le dimensionnement des bâtiments sur une silhouette humaine standardisée et dans des proportions « dorées » – il rejoint d’ailleurs la vision de Vitruve qui disait « Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature » – ou encore le peintre Salvador Dali et sa Demi-tasse géante, volante, avec appendice incompréhensible de cinq mètres de long qui calque son œuvre sur une parfaite spirale d’or.
Trattato Della Pittura
Ce que l’on peut retenir de l’œuvre de Léonard de Vinci, c’est l’immense influence des sciences en général sur ses productions. Les mathématiques ont marqué la rationalité de ses productions, assuré des principes stables dans ses deux domaines de prédilection, que sont la peinture et la mécanique.
Dans son Trattato Della Pittura (Traité de la peinture) ou Codex Urbinas, Léonard de Vinci insiste sur l’importance de l’observation en profondeur : c’est la perception et la compréhension des phénomènes physiques, de la géométrie et de l’optique qui ennoblit la peinture. De quoi comprendre qu’en plus de l’observation, l’expérimentation et une curiosité sans limites, les Mathématiques ont profondément guidé son imagination et ainsi participé à ses immenses chefs-d’œuvre.
En tant que scientifique et formateur d’élèves scientifiques, ce que je retiens du fascinant Léonard de Vinci c’est son aptitude à rapprocher les disciplines, à voir des liens là où on l’on ne les soupçonne pas. Combien de fois ai-je entendu « A quoi servent les Maths ? » de la bouche de nos élèves ingénieurs ? Autant de fois où je n’ai sans doute pas su, en une phrase, donner de réponse convaincante… Les mathématiques sont impalpables certes, mais omniprésentes et fondamentales dans toutes les disciplines, scientifiques d’abord, mais aussi dans tous nos rapports au monde. Les œuvres de Léonard de Vinci illustrent parfaitement leur importance pour développer l’abstraction, l’intuition, le raisonnement. Et sans nul doute une plus grande inspiration.
Rémy Sart, responsable du cycle préparatoire de l’ESILV
Illustration : Léa Amati