La révolution technologique transforme les relations professionnelles. Le département soft skills et transversalité adapte les étudiants à cette nouvelle donne. Entretien avec Laure Bertrand, enseignante-chercheure et directrice du département soft skills et transversalité.
En formant les élèves ingénieurs au savoir-être et à l’intelligence émotionnelle et interpersonnelle, l’ESILV leur offre de bonnes perspectives d’insertion et une meilleure progression de leur carrière future. Une interview initialement publiée sur EducPros.
D’où vient le terme soft skills ? Que recouvre-t-il ?
Apparue en Californie, théorisée notamment par l’école de Palo Alto, la notion de « soft skills » est relativement ancienne. À partir des années 1990, leur enseignement s’est d’abord adressé aux dirigeants qui ont compris que la réussite d’une entreprise ne reposait pas uniquement sur l’expertise technique mais aussi sur un savoir-être, et qu’en progressant dans leur propre développement personnel, en sachant mieux gérer leur temps et leur rapport à leurs équipes par exemple, ils contribuaient à la performance de leur entreprise.
La nouveauté, c’est que l’enseignement des soft skills sort du strict champ de la formation continue en entreprise pour prendre place dans l’enseignement supérieur.
Pour quelles raisons ces formations, initialement dédiées aux cadres et dirigeants d’entreprises, se développent-t-elles au sein de l’enseignement supérieur ?
Aujourd’hui, la maîtrise des soft skills est un enjeu pour l’employabilité des jeunes. L’enquête « L’effet des soft skills sur la rémunération des diplômés », menée par le Céreq et publiée en janvier 2016, le confirme. Si auparavant, les parcours professionnels étaient linéaires et balisés, ils sont aujourd’hui moins prévisibles.
Ce sont ces aptitudes et habilités sociales, les soft skills, toutes ces compétences relationnelles, qui jouent un rôle décisif dans la progression des carrières.
Et ce mouvement n’est pas terminé : l’incertitude est la norme et les savoirs techniques évoluent en continu à une vitesse folle. Dans ce contexte, il ne s’agit plus seulement d’apprendre, mais « d’apprendre à apprendre ». Les qualités d’ouverture, d’analyse critique, d’adaptabilité, de coopération deviennent stratégiques. Voilà pourquoi j’ai créé, sous l’impulsion de la direction du groupe, ce département « Soft skills et transversalité ».
Le programme court sur cinq ans : il est obligatoire et commun à l’ensemble des trois écoles du pôle (ingénieur, management et web) et les étudiants y sont évalués, au même titre que dans les autres matières.
En quoi consiste la formation ?
Le programme comporte près de 350 heures de cours. Les étudiants issus des trois écoles travaillent en équipe sur quatre grandes thématiques. Le premier module, intitulé « Se comprendre et comprendre les autres » vise à les aider à mieux se connaître et comprendre leur mode de fonctionnement pour, in fine, mieux se positionner dans un groupe et faire des choix « vertueux », car faits en adéquation avec leur personnalité.
On s’inspire de la psychologie positive pour les amener à identifier leurs talents, leurs faiblesses, leurs valeurs, leurs émotions et leurs cadres de référence. On travaille aussi beaucoup sur la réflexivité : on demande aux étudiants, sous la forme d’une soutenance qui est évaluée, de produire une analyse de leur situation. La relation à l’autre et l’expérience de la dynamique de groupe est un autre pan essentiel du programme : l’écoute, les capacités à s’affirmer et à trouver sa place dans un groupe, ou bien encore à gérer le conflit, sont autant de compétences précieuses pour s’épanouir au travail.
Dans ce monde incertain, savoir embrasser l’inconnu et s’y adapter est une des clés qui favorisera l’entrée et le développement professionnel des jeunes.
La « performance dans l’action » est un troisième axe du programme : là, on leur apprend les méthodes agiles, à gérer leur temps, la prise de parole en public et l’éloquence. Sans oublier l’attitude face à l’échec, en apprenant à le considérer comme une source d’apprentissage et non comme un fait stigmatisant et humiliant.
Enfin, l’ouverture sur le monde et l’interculturalité nous paraissent importantes : c’est aussi entretenir un état d’esprit qui cultive l’empathie et la compréhension de l’autre. Cela permet de voir les choses différemment, de modifier sa perception, de bousculer ses représentations. Au-delà des thématiques du programme, notre conviction est que dans ce monde incertain, savoir embrasser l’inconnu et s’y adapter est une des clés qui favorisera l’entrée et le développement professionnel des jeunes. Finalement, avec tous ces modules, on les forme à la créativité, à l’agilité et à la coopération.
Vous insistez beaucoup sur la notion de transversalité du programme. Qu’entendez-vous par là ?
La transversalité est en effet au cœur du programme. Tout d’abord dans les matières abordées puisqu’il rassemble six activités complémentaires et indispensables à l’épanouissement des étudiants des trois écoles (EMLV, ESILV et IIM) : formation « soft skills », accompagnement emploi, langues, sports, vie associative, et enfin projets et engagements étudiants.
Le fait que la formation soit dispensée à l’ensemble des étudiants est aussi important. Quels que soient le métier et le secteur d’activité auxquels ils se destinent, ils auront à développer ces compétences relationnelles et ces savoir-être. Enfin, le fait de travailler ensemble sur des projets communs les met dans une situation d’interdisciplinarité, les formant aux situations auxquelles ils seront confrontés demain.
L’enseignement des soft skills dans l’enseignement supérieur est récent. Sur quel corpus pédagogique vous appuyez-vous ?
Je m’appuie sur une équipe de plus de 130 praticiens, coachs et consultants certifiés qui disposent d’outils et de méthodes avérés en psychologie sociale et cognitive comme la PNL, le MBTI, l’analyse transactionnelle, etc.
Loin d’être théorique, cet enseignement est très concret et passe par des exercices, des travaux de groupe, des mises en situation. Par exemple, les étudiants de cinquième année vont plancher sur le thème suivant : comment manager une équipe quand on n’a pas l’autorité hiérarchique ?
Cette approche très concrète est essentielle car on ne peut pas « penser » les « soft skills » : pour les acquérir, il est nécessaire de les « vivre ». Parce que cela touche aux relations humaines, interpersonnelles, ainsi qu’aux émotions, les compétences relationnelles s’acquièrent par l’expérience et la répétition. La prise de conscience de ses comportements et de ses représentations est un processus lent ; les modifier l’est plus encore.
C’est la raison pour laquelle le programme soft skills s’échelonne sur cinq ans et ne s’adresse pas uniquement aux dernières années. Pour les 5 500 étudiants du Pôle, les soft skills s’apprennent au quotidien.
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