Une tribune de Clément Duhart, enseignant-chercheur à l’ESILV, Docteur en Informatique, chercheur au MIT Media Lab et fondateur du Da Vinci Innovation Center, initialement publiée dans Le Monde des Grandes Écoles.
Le Media Lab est un institut de recherche du Media, Arts and Science Program du Massachusetts Institute of Technology. La dimension « Arts » y est un vecteur essentiel pour l’innovation car ces derniers doivent surprendre, toucher émotionnellement les personnes et bien souvent apporter un regard critique sur notre civilisation. En ce sens l’innovation partage de nombreux points communs avec l’Art. Il s’agit de transcender la façon de voir le monde, par sa critique ou son évolution, pour préparer un futur adopté par le plus grand nombre. Ces outils de transition sont alors appelés « innovation ».
La culture de l’innovation
L’innovation, telle que considérée au Media Lab, est une culture et non une chose, un domaine ou une méthode. Aucune recette n’aboutit avec certitude à un concept innovant, mais certaines permettent d’explorer ce qui pourrait le devenir. Dans la notion de culture, il y a l’Histoire, sans elle aucune idée ne peut s’inscrire dans un rôle sociétal et ainsi aboutir à une adoption par la société. Il s’agit de comprendre comment la technologie ou les méthodes dites innovantes se sont construites et ont été adoptées. Ainsi l’exploration peut s’inscrire dans une lignée ou entre plusieurs pour produire une rupture.
Une méthode des étudiants du Media Lab est le développement de compétences pluridisciplinaires. Apprendre une nouvelle technique, découvrir un nouveau concept et le partager changent le regard du monde mais également la compréhension de son propre savoir déjà acquis. L’intérêt n’est pas tant d’apprendre une nouvelle technique dans la perspective de la maîtriser mais de tirer avantage d’une nouvelle perception de ses propres connaissances afin de rechercher les liens entre elles. Quand l’acte de recherche cherche les limites des connaissances, l’innovation se trouve souvent à leurs intersections.
La communauté est probablement la pierre angulaire dans la quête d’innovation. Si un individu peut développer des idées à travers sa pluridisciplinarité, nul ne peut aborder l’étendue des domaines technologiques et sociétaux d’autant plus que ces derniers tendent à être de plus en plus complexes.
Ainsi chacun assimile de nouvelles connaissances, au profit d’un changement dans sa représentation de son savoir et du monde, mais également dans la perspective de le partager avec une communauté qui saura créer et valoriser de nouvelles idées. Ainsi est l’esprit des communautés de « makers », dont les Fab Labs font partie, où d’une part on apprend, on développe une idée, on expérimente et enfin on partage.
L’antidisciplinarité
Les disciplines scientifiques et technologiques n’ont cessé de progresser de manière exponentielle durant ces dernières décennies. La complexité des connaissances humaines n’a pas cessé de croître et a requis la mise en place de nouvelles abstractions disciplinaires. Si ce nouvel ordre permet de communiquer au plus grand nombre, il cache aussi les espaces entre ces nouvelles disciplines. En effet une discipline, un mot, est assujetti à une définition qui limite alors sa portée.
Ainsi certains domaines en pleine effervescence ne sont pas considérés comme des disciplines, à l’instar de l’Intelligence Artificielle. Cette dernière puise ses fondements et développements dans un très grand nombre de disciplines qui offrent à ses contributeurs une liberté d’innovation inouïe et dont le jeu premier est d’être le plus original en mixant les idées.
L’anti-disciplinarité est un concept développé par le directeur du MIT Media Lab, Joichi Ito, à la recherche de ces espaces entre les disciplines laissées par l’ordre linguistique et scientifique établi. Si la pluridisciplinarité tend à mixer des disciplines pour qu’elles s’enrichissent mutuellement, l’anti-disciplinarité recherche la bordure limite entre ces dernières.
Ainsi le savoir n’est pas cantonné dans un espace linguistique, mais est une représentation continue des connaissances où les mots n’ont de sens exact que pour celui qui les prononce. L’auditoire se doit alors de comprendre la pensée plus que le sens des mots. Ce concept, une fois adopté, permet de s’affranchir de sa propre pensée et permet au travail exploratoire un haut niveau de liberté.
Le De Vinci Innovation Center (DVIC)
Depuis septembre 2017 avec mes étudiants et le Pôle Léonard de Vinci, nous nous efforçons d’explorer et d’appliquer ces principes au sein d’un nouveau centre d’innovation, le DVIC. Il s’agit de construire cette communauté de libres penseurs où l’anti-disciplinarité est également appliquée à la pédagogie. La frontière entre l’enseignant et l’élève y est explorée avec une pédagogie inversée où les élèves enseignent leurs travaux ; “Enseigner, c’est apprendre deux fois”, Joseph Joubert ; et les enseignants apprennent de nouveaux domaines hors de leur spécialité.
Ainsi lors de nos Master Classes hebdomadaires sur l’Intelligence Artificielle et prochainement sur “How to make almost everything”, les étudiants conduisent et préparent les séances quand l’enseignant se focalise sur le bien être et la dynamique du groupe. Ce dernier peut alors se focaliser sur l’accompagnement individuel des étudiants dans leurs projets et leurs préparations de séance. En passant outre ces rôles, l’enseignant apprend des découvertes et intérêts de ses propres étudiants.
Dans le même esprit, il s’agit également de marier les différentes générations d’étudiants où les premières et dernières années ne sont plus cantonnées à un programme établi mais se rapprochent selon leur centre d’intérêt.
Le DVIC est ouvert à tous les étudiants de toutes promotions des trois écoles du Pôle Léonard de Vinci : d’ingénieur (ESILV), de management (EMLV) et de design numérique (IIM). Chacun apporte sa pierre dont la plus importante est l’attention portée à la réflexion d’un camarade.
La seule règle au DVIC est la mise en application de ses idées par une expérimentation ou un prototype dans la perspective de le présenter à tout un chacun.
Ainsi les étudiants doivent réfléchir au positionnement de leurs idées, de leurs portées et la meilleure façon de la partager.
Le développement parallèle du département des Soft Skills au Pôle Léonard de Vinci apporte à nos étudiants les outils et techniques leur permettant de travailler ensemble et de communiquer efficacement. Ces imbrications systémiques et transverses au sein du Pôle Léonard de Vinci ont pour objectif de préparer un terreau favorable au travail collectif et à l’épanouissement personnel par la réalisation, elle-même orientée par les centres d’intérêts des premiers concernés : les étudiants.