Les usages de la Blockchain ne se limitent pas à l’univers de la Finance, comme en témoignent les applications récentes en plein développement dans le domaine de l’énergie.
Article co-écrit par Zeinab Nehai, élève-ingénieure ESILV promo 2018 et Guillaume Guérard, enseignant-chercheur responsable de la majeure « Nouvelles énergies » de l’ESILV et publié initialement dans The Conversation.
Depuis un an, des microgrids ont fait leur apparition dans le quartier new-yorkais de Brooklyn. En mettant en relation les habitants, ces réseaux locaux intelligents cherchent à faciliter l’échange d’énergie entre consommateurs.
Développé par TransActive Grid, ce microgrid combine énergie renouvelable et économie du partage. À l’origine de ce projet, on trouve deux entreprises : Lo3 Energy pour la mise en place de réseaux d’énergie solaire et ConsenSys, spécialisée dans la blockchain.
La blockchain (bien connue des utilisateurs de la monnaie virtuelle BitCoin) est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans contrôle centralisé. Elle consiste en une base de données construite bloc après bloc, d’où son nom, contenant l’historique de toutes les « transactions » effectuées entre ses utilisateurs depuis sa création. Cette base de données est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire. Une transaction peut être un troc, une vente/achat, via un contrat ou autres, entre deux ou plusieurs parties.
Les usagers du microgrid de Brooklyn peuvent donc s’échanger de l’énergie en temps réel sans avoir à passer par un agrégateur ou par le distributeur local. Leur transaction est légale, sécurisée et monétisée via la blockchain.
Payer un colis, voter, se fournir en énergie
Toute blockchain publique fonctionne avec une monnaie ou un jeton programmable. Les transactions effectuées entre les utilisateurs du réseau sont regroupées par blocs. Chaque bloc est validé par les nœuds du réseau selon des techniques qui dépendent du type de blockchain.
Dans la blockchain du bitcoin, cette technique est par exemple appelée le « proof-of-work », (« preuve de travail ») et consiste en la résolution de problèmes algorithmiques.
Une fois le bloc validé, il est horodaté et ajouté à la chaîne de blocs. La transaction est alors visible pour l’ensemble du réseau. Ce processus prend de quelques secondes à plusieurs minutes en fonction des paramètres de la blockchain.
Les transactions dans la blockchain peuvent en outre passer par des smart contracts (on pense ici à la blockchain Codius ou Ethereum). Ce sont des programmes accessibles et consultables par toutes les parties autorisées et dont l’exécution est contrôlée et vérifiable. Ils exécutent automatiquement les conditions d’un contrat lorsque certains éléments sont réunis.
Dans ce cadre, la blockchain permet par exemple le paiement automatique d’un colis au moment de la livraison ou encore le vote électronique.
La blockchain offre ainsi une technologie rendant fiables des transactions commerciales sans vis-à-vis ni accord commercial négocié entre les parties ; c’est la participation à la blockchain qui certifie la transaction.
Le caractère décentralisé de la blockchain, couplé avec sa sécurité et sa transparence, promet des applications bien plus larges que le domaine monétaire. Et des grandes entreprises telles que Microsoft prennent les devants afin de proposer de nombreuses utilisations de cette blockchain dans le monde du luxe, du vote électronique et des échanges pair-à-pair d’énergie.
La blockchain dans les réseaux intelligents
La transition énergétique fera du consommateur un consomm’acteur et la multiplication des autoproducteurs et des îlots de consommateurs favorise déjà les échanges énergétiques à l’échelle locale.
Mais aujourd’hui, l’énergie produite par les consomm’acteurs et non utilisée localement est injectée dans le réseau, ce qui pose d’importants problèmes au niveau du réseau de distribution.
La solution la plus plébiscitée à l’heure actuelle consiste, comme c’est le cas à Brooklyn, à créer des réseaux locaux intelligents et à mettre au point des smart contracts pour lier les usagers du microgrid les uns aux autres. L’énergie peut être ainsi vendue ou achetée suivant des règles locales.
Ce type de blockchain ne se limite pas aux microgrids ; il peut concerner tous types d’échange pair à pair monétisable et contrôlé par des outils informatiques. Slock.it, travaille par exemple en partenariat avec le conglomérat allemand RWE sur l’utilisation de la blockchain pour des bornes de rechargement électrique.
En France, Bouygues Immobilier et Microsoft (via la PME Stratumn) développent actuellement des smart contracts pour l’échange énergétique à l’échelle d’un quartier selon les lois françaises. Engie a de son côté lancé un projet visant à améliorer la traçabilité des flux (eau, gaz, électricité), pour la gestion et la maintenance, en combinant des capteurs à la blockchain.
Une question d’échelle
Il est important, pour ne pas perturber le réseau de distribution, que la monétisation des transactions énergétiques via la blockchain prenne en compte le confort des utilisateurs, la flexibilité du réseau et le prix de l’énergie.
La blockchain doit également garantir l’intégrité et la confidentialité des transactions ; des problématiques comme quitter la chaîne, en rejoindre une autre, se faire rembourser des jetons demeurent des sujets controversés.
Des initiatives se multiplient actuellement ; une monnaie a ainsi été créée dans le domaine de l’énergie solaire : SolarCoin, reconnue par l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA). SolarCoin accorde pour chaque MWh d’énergie solaire 1 SolarCoin au producteur. Ces jetons s’échangeront ensuite sur une place de marché sans intermédiaire. Seul l’offre et la demande fixeront les prix de l’énergie. La start-up Grid Singularity implante, en partenariat avec IBM et LO3 Energy, cette technologie à destination des pays en voie de développement dans des zones peu et pas rattachées au réseau de distribution.
Si la blockchain offre une option viable et facile à implanter dans tous types de réseaux, elle soulève toutefois de nombreuses questions liées à la régulation et à l’économie de marché. Et pour les acteurs historiques, qui se trouvent indirectement impactés par cette gestion locale pair-à-pair, ils vont devoir faire face à la multiplication de marchés locaux de l’énergie en concurrence avec le marché de l’énergie. Ces interactions peuvent bouleverser le marché, l’énergie produite n’étant plus en lien direct avec son prix, rendant ainsi caduque les projets de demande-réponse basés sur le prix.