Un article de Guillaume Guérard, enseignant-chercheur au sein du département Nouvelles Énergies de l’ESILV, publié dans le Journal du Net.
Le monde de l’énergie englobe des centaines d’acteurs, des millions d’utilisateurs et une infrastructure sur terre comme sur mer. Pour changer le fonctionnement de cette machinerie, il faut prendre en compte la répercussion sur l’ensemble de la chaine de l’énergie.
C’est pourquoi il est plus facile d’intégrer des technologies numériques que de repenser le réseau. Et en ce sens, la blockchain a trouvé de nombreuses utilités dans ce réseau devenant distribué et bidirectionnel. De plus en plus de projets naissent, et les groupes industriels comme Digital Trade Chain d’IBM et de recherche comme l’IRT SystemX s’accordent afin de trouver les applications possibles. Des personnalités comme Pierre Paperon (Observatoire des Blockchains) ou André Joffre (Tecsol) sont des ambassadeurs de cette technologie dans le monde de l’énergie, et brisent les préjugés dus au Bitcoin. Que ce soit au niveau des consomm’acteurs ou des entreprises du secteur, la blockchain changera notre manière de consommer.
Favoriser l’autoconsommation particulière et collective
La blockchain est surtout connue pour la sécurisation des transactions sans tiers de confiance. L’échange pair-à-pair est possible sans passer par un intermédiaire. Des écoquartiers comme le célèbre quartier de Brooklyn Microgrid favorisent le partage rémunéré d’énergie entre des voisins d’un même quartier. En Europe, Grid Singularity propose des formules pour le partage et l’autoconsommation énergétique. La blockchain est aussi utile pour se constituer un « portefeuille » énergétique. Cette blockchain peut être publique – n’importe qui peut s’inscrire –, privée, l’écriture et la lecture sont des droits à établir, ou gérée par un consortium – typiquement un écoquartier.
La Sunchain du bureau d’étude Tecsol garde la surproduction sous forme de cryptomonnaie. Cette dernière est alors convertissable en énergie, quelle que soit votre position. Il est alors possible de recharger sa voiture électrique à Paris « à partir » de l’énergie que vous produisez à Marseille. Du côté international, les SolarCoins se veulent une monnaie de conversion de l’énergie solaire. Il est alors possible d’acheter ou de vendre son énergie via cette blockchain. Cette cryptomonnaie se veut communautaire, seule une entreprise, ekWateur, l’exploite dans ses offres. Fonctionnant par preuve de travail, il n’est pas obligatoire de posséder des panneaux photovoltaïques pour utiliser la monnaie.
Vers un monde de smart contracts
Les smart contracts sont des contrats automatisés via la blockchain. Des projets pilotes, comprenant des grands groupes comme EDF (OslO2Rome avec Corri-Door), Bouygues et Microsoft avec Lyon Confluence ou encore Total avec Greenflex. Dans ces projets, la blockchain a plusieurs rôles dont celui de gérer la mobilité électrique et d’agréger les producteurs sous forme de centrales virtuelles. La mobilité électrique est en développement. Que ce soit collectif ou individuel, le véhicule électrique a sa part à jouer en termes de stockage et de gestion de la demande au sein du réseau électrique.
Ainsi la prochaine étape de la blockchain dans le monde énergétique est de s’affranchir de l’agrégateur dans l’autoconsommation collective. Il est nécessaire de produire une grande quantité d’énergie constante pour participer au marché de l’énergie.
La constitution d’un partenariat, automatisé par les smart contracts, permettraient aux particuliers de bénéficier d’un prix de l’électricité dynamique ou de choisir son producteur en fonction du marché comme pour la blockchain Electron.
Les charges et décharges des batteries peuvent alors être considérées comme des options en bourse. L’autonomie du consomm’acteur est alors complète.
Les centrales virtuelles ne sont pas propres aux consomm’acteurs, elles peuvent aussi être une agrégation d’éoliennes (avec un système de stockage) ou tout autre système de production décentralisé, pas forcément situé au même endroit ni dans la même région. Ainsi le marché de l’énergie renouvelable n’est plus propre à des entreprises, mais aussi aux particuliers et investisseurs. Ce type d’infrastructure a besoin de la modélisation multi-agent pour bien analyser l’impact d’une stratégie sur l’ensemble du réseau.
Transactions et certifications de gré à gré
La blockchain est aussi utile pour les consomm’acteurs que pour les acteurs historiques de la chaîne énergétique. La chaîne de production et de logistique d’un réseau électrique est très complexe et fait appel à des milliers d’entités (apport de matière, contrôle des centrales, gestion des flux, marché de l’énergie, etc.). La certification des connaissements, du suivi des actifs ou des transferts de titre est possible via une blockchain dédiée comme chez Stratumn. Ainsi, la traçabilité des produits se fait via la technologie blockchain.
De même que dans le cas de l’autoconsommation, les smart contracts prennent la place des lettres de crédits ou autres méthodes de transaction tout au long des transactions. L’arrivée des biens ou l’envoi des biens activent alors le smart contract et valide la transaction automatiquement. En plus de la traçabilité des produits, la blockchain est aussi garante des transactions et de la synchronisation de ces dernières le long de la chaîne énergétique.
Une transaction de gré à gré se fait historiquement avec l’aide de brokers ou de chambres de compensation afin de garantir sa validité. C’est pourquoi Ponton lance Enerchain et Gridchain afin de se passer de la lourdeur de la procédure sans pour autant se priver de sa sécurité. Ces blockchains ont pour particularité de permettre à un modèle B2B de passer vers un modèle plus ouvert en P2P. Une quarantaine de producteurs ont à ce jour rejoint le consortium. Encore une fois, les smart contracts permettent de correspondre aux exigences sur les marchés de gré à gré ou sur le marché (EMIR et MIDIF2).
Un frein au développement ?
La technologie blockchain est très prometteuse dans le monde de l’énergie. Les deux principaux freins sont intrinsèques : la taille des blocs et leur fréquence, et la preuve de travail. Ces deux freins s’effritent, car des techniques comme Lightning Network offrent une alternative efficace face à un flux de transaction important ; et d’autre part la preuve d’enjeux ou des preuves hybrides peuvent se passer de la notion de mineurs.
Le type de blockchains est aussi à prendre en compte dans le dimensionnement d’un nouveau réseau (notion de masse critique). Des blockchains privées, entre des acteurs définis à l’avance donne une flexibilité des règles de transaction et des droits de lecture/écriture. Une blockchain basée sur un consortium offre ces mêmes avantages, restreints sur un groupe de personnes, tout en garantissant l’ajout de parties externes.
La technologie blockchain est encore jeune et avec une évolution prometteuse. Une nouvelle façon de voir les échanges pairs à pairs ou la certification des produits est utile à toutes les mailles de la chaine énergétique.
L’intégration en cours du Machine to Machine et de l’internet des objets offrent de nouvelles pistes d’exploitation, que ce soit sur la blockchain ou des systèmes basés sur le Tangle comme IOTA.
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