Apprendre de Léonard – Partie 1. A l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, les écoles du Pôle Léonard de Vinci reviennent sur les traces du génie pluridisciplinaire dont l’influence est encore ressentie aujourd’hui. Démarrage de la série « Apprendre de Léonard » avec Pascal Brouaye, Directeur Général du Pôle Léonard de Vinci et Directeur de l’ESILV.
500 ans après sa mort, l’héritage de Léonard de Vinci est toujours admiré dans le monde entier. Que ce soit dans les arts, dans les sciences ou dans l’ingénierie, nous restons tous impressionnés par la qualité et la quantité de ses œuvres. Par la diversité de ses centres d’intérêt, par la profondeur avec laquelle il les explore, il apparait comme un génie alors même qu’il n’a pas reçu de grande éducation. Ce génie est la conséquence de sa façon d’être, de sa curiosité infinie de la nature, de son imagination exceptionnelle, de son intérêt pour tous les sujets et bien sûr d’un travail acharné. A notre époque d’hyperspécialisation, d’abstractions numériques et de mondes virtuels, d’oubli de la nature qui se rappelle à nous de plus en plus souvent, nous avons certainement beaucoup à apprendre de Léonard. Dans cet article nous n’en retenons bien sûr que quelques aspects.
Parmi les traits qui caractérisent la personnalité exceptionnelle de Léonard, la soif de connaissances est une dimension constante. Des connaissances que Léonard acquiert de par sa curiosité insatiable. Des connaissances sans but utilitaire a priori. Léonard est mû par le plaisir d’apprendre et de comprendre. A l’heure de la surinformation au sein de laquelle nous vivons et où finalement nous laissons souvent aux algorithmes le soin de nous informer en fonction de notre profil, de nos goûts et de nos navigations passées, la qualité d’émerveillement de Léonard sur tous les sujets nous montre comment s’ouvrir au monde. Sortir de notre zone de confort, s’intéresser à des sujets totalement nouveaux, voilà l’une des voies à laquelle Léonard nous invite. “Plus on connaît, plus on aime” disait-il.
Mais pour autant, Léonard ne survole jamais un sujet. En particulier, il observe avec attention. Il observe dans les moindres détails. Il commence même par les détails. “Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail” nous dit-il. Cela peut questionner notre approche cartésienne souvent descendante. On part du général pour aller vers le particulier. On divise un problème en sous problèmes, etc. Dans l’un de ses Codex, Léonard nous dit au contraire : « Si tu veux avoir la véritable connaissance des formes diverses, commence par leurs particularités et ne passe point à la seconde étape sans avoir bien retenu la première ». Evidemment l’attention et la concentration sont nécessaires à cette approche et cette approche les développe en retour.
Léonard documente ce qu’il voit, ce qu’il imagine et ce qu’il pense. Léonard écrit et dessine beaucoup. Ses carnets comptent des milliers de pages manuscrites relatives à tous les sujets : anatomie, physiologie, géologie, mathématiques, géométrie, etc. Cela peut nous faire réfléchir dans notre monde connecté au temps court, où nous sommes consommateurs d’information plutôt que producteurs ou même commentateurs. Nos tweets qui ne dépassent pas 280 caractères invitent aux pensées simples et stéréotypées. Les titres des médias nous accrochent à l’instant t pour mieux disparaitre à l’instant suivant. Et pourtant les pensées profondes se nourrissent du temps long et de l’écriture approfondie plutôt que des « punch lines » … N’oublions pas de prendre le temps d’écrire…
S’attacher aux faits. Léonard vit à une époque où les dogmes sont assénés et respectés. Il n’est pas simple de s’en écarter. Pourtant Léonard multiplie les expériences et les observations afin de mettre ses idées à l’épreuve. Et il n’hésite jamais à remettre en question des idées et des croyances si celles-ci sont contredites par l’expérimentation. Il abandonnera ainsi des hypothèses comme celle relative au modèle des sources souterraines qu’il pense identique à celui des vaisseaux sanguins. A notre époque de « fake news », de « post vérités » où les faits sont souvent négligés au profit de l’émotion ou des opinions individuelles, l’exemple de Léonard nous rappelle que nous devons être capables de faire évoluer nos points de vue lorsque les faits l’imposent.
« Demo or die ». C’est ce qui est écrit au fronton du MIT MediaLab. Cela signifie que toute conception doit être accompagnée ou précédée d’un prototype, d’une visualisation, d’une expérimentation dans le monde réel. Léonard aurait pu écrire cette maxime. Constamment, il essaie de traduire ses idées ou ses hypothèses par une expérience, une simulation, une réalisation ou encore une représentation graphique très aboutie comme celles que l’on peut découvrir dans ses carnets. L’engouement actuel pour les FabLabs s’appuie sur cette approche. L’abstrait et le concret se rejoignent.
Et bien sûr, Léonard incarne la multidisciplinarité, le décloisonnement des spécialités, le rapprochement entre les arts, les sciences, l’ingénierie,… Sa créativité trouve à s’exprimer souvent dans des rapprochements improbables. L’étude de l’optique nourrit la perspective de ses tableaux, celle de l’anatomie et de la physiologie se projette dans ses portraits jusqu’au sourire de la Joconde. Steve Jobs qui incarne à travers les produits d’Apple, le rapprochement intime entre design et technologie, représente cette voie si rarement empruntée et pourtant si féconde.
Apprendre de Léonard est passionnant. Il nous donne une occasion exceptionnelle de revisiter nos pratiques pédagogiques. D’inviter nos étudiants à apprendre par eux-mêmes, de susciter et de cultiver sans cesse leur curiosité, d’élargir toujours davantage le spectre de leurs connaissances, de ne pas toujours viser des compétences utilitaires, de rechercher l’esthétique jusque dans les technologies les plus pointues. Il est naturellement un de nos modèles au Pôle Léonard de Vinci qui s’attache à être digne de son nom. Ce que nous appelons l’hybridation des compétences et la transversalité pédagogique à travers laquelle les étudiants de nos 3 écoles (ingénieurs, designers, managers) partagent et mutualisent leurs connaissances s’appuie sur une approche globale transdisciplinaire. Les pédagogies orientées sur les projets qui nourrissent nos écoles donnent lieu à des travaux d’analyses réflexives afin de documenter non seulement les projets en eux-mêmes mais aussi leur déroulement, la personnalité des étudiants, leurs soft skills. Le FabLab, ouvert en permanence est un des centres vitaux où les prototypes naissent, évoluent, sont montrés en exemple dans une ambiance d’éclectisme et de diversité qui invite les étudiants à la curiosité et au partage de connaissances. Et Léonard qui aura célébré la connaissance toute sa vie nous rappelle que “l’apprentissage est la seule chose que l’esprit n’épuise jamais, ne craint jamais et ne regrette jamais”.
Pascal Brouaye
Directeur Général du Pôle Léonard de Vinci
Directeur de l’ESILV
Illustration : Lea Amati