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Apprendre de Léonard, de Janus à l’intelligence artificielle

Apprendre de Léonard – Partie 7. A l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, les écoles du Pôle Léonard de Vinci reviennent sur les traces du génie pluridisciplinaire dont l’influence est encore ressentie aujourd’hui. Septième épisode de la série « Apprendre de Léonard » avec Clément Duhart, responsable du « De Vinci Innovation Center » de l’ESILV.

Léonard de Vinci, ce génie illustre du passé, nous fait encore et toujours rêver du futur. L’encre de nombreux passionnés a tenté de qualifier l’homme, son histoire, son œuvre. Cet homme qui a pu à lui seul produire, à son époque, tant d’arts, de sciences et de techniques, continue de nous inspirer encore aujourd’hui. Sans que le terme soit défini alors, il incarnait à l’époque la notion de multidisciplinarité dans laquelle nous nous efforçons de repousser les limites de nos jours.

Peut-être nous dirait-il : la peinture n’est pas un simple mélange mais aussi une lumière. Cette vision transcendantale inspire encore l’art et les techniques de notre monde tangible et sensible. Ses travaux sur l’anatomie et les mathématiques montrent sa quête de compréhension du corps et de l’esprit, de l’animé et de la pensée, de l’énergie et de l’émotion. Peut-être voyait-il de la matière prenant vie derrière les machines qu’il inventait ?

Apprendre de Léonard au temps de l’ultra-spécialisation

Nous avons réduit la complexité par la spécialisation et la répartition des tâches. Chacun aborde les sujets selon son prisme et son expertise sans embrasser l’infinité de points de vue que l’on peut développer par la multidisciplinarité. Aujourd’hui, l’effet « trou de serrure » est omniprésent et montre ses limites pour aborder des sujets globaux et à enjeux transdisciplinaires.

Nous avons développé des outils pour simplifier nos tâches mais nous avons oublié que la création appartient au monde des possibles et non du tangible. « Le tout est plus grand que la somme de ses parties » d’après la Gestalt théorie, n’est-ce-pas en cette maxime que repose la quête de Léonard ? Il s’agit alors de comprendre qu’un système ne se résume pas à ses éléments mais à leur dynamique d’interaction. Il faut saisir l’ensemble pour concevoir chaque composante et en créer une dynamique harmonieuse.

A notre époque où les disciplines sont cloisonnées, qui peut encore avoir une vision large par la connaissance et précise par la technique ? Et pourtant, nous vivons à l’époque de Wikipedia, des MOOCs et de YouTube, l’humanité n’a jamais eu autant l’opportunité de transcender ses disciplines. L’usage que nous faisons de cette information de masse, au lieu de nous élever vers plus de curiosité pour l’inconnu, nous pousse au contraire vers une spécialisation qui nous rassure en nous leurrant sur la maîtrise des données. Comment alors tendre vers la création sans cette part de curiosité pour l’inconnu ?

Si à l’époque de Léonard, Dieu représentait tout ce qui n’était pas explicable, la science d’aujourd’hui apporte systématiquement de nouvelles réponses. Et pourtant, à notre époque de changement climatique, de mondialisation et d’individualisme, notre société semble incapable d’adresser des sujets globaux qui vont au-delà des silos de spécialisations scientifiques.
Avons-nous, nous aussi, besoin de nommer un Dieu pour pouvoir voir au-delà des cloisons ? Cette « force » transcendantale pourrait-elle venir d’ailleurs ? De notre planète nourricière qui précède nos sciences, ou peut-être de cette nouvelle ère de l’Intelligence Artificielle qui transforme nos sciences ?

Apprendre de Léonard au temps des machines apprenantes

L’Intelligence Artificielle (IA) moderne est au croisement d’une multitude de disciplines dont notamment la neuroscience et l’informatique. Elle a cependant une portée qui dépasse ces deux sciences et leur donne de toutes nouvelles dimensions – comme par exemple les questions philosophiques sur le transhumanisme ou l’omniscience généralisée. L’IA, qui se caractérise régulièrement par ce qu’elle n’est pas, n’est pas non plus une discipline.

A l’image des œuvres de Léonard, elle irrigue les techniques artistiques et le développement technologique. Et si, aujourd’hui, les bits – unité élémentaire de l’information en informatique – voire q-bits en ordinateur quantique, avaient remplacés les rouages des machines de Léonard ? Ce dernier animait ses structures mécaniques pour agir automatiquement, l’Intelligence Artificielle veut tendre à animer des pensées.

Tel le dieu mythologique à deux têtes (une face tournée vers le passé, l’autre sur l’avenir), il est le dieu des commencements et des fins, des choix. Comme le génie mécanique a révolutionné nos sociétés, à la fois pour le meilleur de l’art mais aussi pour le pire des usages militaires, l’Intelligence Artificielle peut être perçue, à notre époque de médias de masse et de changements climatiques, comme notre pire et notre meilleur espoir. Léonard, en automatisant la force mécanique, a construit toujours plus grand tout en produisant des machines de guerre toujours plus sanguinaires. Qu’en sera-t-il des stigmates de l’IA dans notre compréhension du monde actuel ?

De nos jours cette communauté de l’Intelligence Artificielle semble avancer dans les pas de Léonard. Elle n’essaye pas de résoudre des problèmes, mais veut tendre à percer les secrets de l’intelligence, du vivant et de la complexité. Elle n’est pas une discipline et pourtant elle nourrit chaque jour nos sciences et techniques. Elle n’a pas de but et pourtant s’applique tout autant aux diverses facettes de notre société. Finalement elle nous amène à nous poser des questions existentielles sur nous-mêmes, sur notre place à ses côtés.

Ces questions n’annoncent-elles pas une révolution comme celle des Lumières après Léonard ? Le parallèle semble tentant entre un Moyen-Âge dont la croyance en Dieu justifiait tout et un temps où l’économie de marché régit tout ?

Au final, que peut-on apprendre de Léonard ?

Peut être simplement que tout est lié, que le génie ne naît que pour de grandes quêtes, que chaque époque a ses questions qu’il faut aborder avec toute leur complexité si on veut en percer leur secret. Aujourd’hui, on pourrait voir l’apparition de l’Intelligence Artificielle et les questions qu’elle soulève comme une porte pour adresser le futur de l’humanité : comprendre notre système planète et sa place dans le cosmos. Mais avant cela, chacun doit prendre conscience qu’il n’est pas un interchangeable rouage de la machine, mais qu’au contraire chacun a un rôle à jouer dans le nouveau monde de demain. Le génie de Léonard ne doit pas être synonyme de fantasme ou nostalgie mais d’inspiration à créer, à inventer, à découvrir et se découvrir.

Image mise en avant : Léa Amati

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